Quelle belle conférence! (mais je n’ai rien pu y comprendre…) |
Le public attend avec impatience , tout semble parfait: le panel d'éminents orateurs, les affiches sur les murs de la salle, les splendides arrangements floraux et les hôtesses impeccablement ravissantes : tout annonce le succès de la manifestation. Finalement, la réunion commence! |
Mais...que se passe-t-il? Comment un tel galimatias peut-il sortir de la bouche du Prix Nobel ? Certains dans le public applaudissent à tout rompre alors que d'autres ont l'air totalement confus. A mesure que les gens commencent à réaliser que la série d'incohérences parvenant à leurs oreilles dans leurs écouteurs n'a pas grand chose à voir avec les mots prononcés par l'illustre orateur, les regards se tournent vers le fond de la salle où un interprète poursuit imperturbablement sa tâche, élaborant sa propre version du discours . |
Comment expliquer l'échec de la réunion alors que l'organisation en avait été pratiquement parfaite? Ce cauchemard en réalité trop fréquent, , démontre bien que l'interprétation de qualité médiocre peut nuire au résultat de la réunion et ce faisant, à la réputation de son organisateur. Indirectement c'est aussi l'image du pays hôte qui en pâtit ainsi que le prestige des orateurs invités. Mais en fin de compte les véritables grands perdants sont les participants à la conférence. |
Pourtant, les réunions internationales sont un fait réel. Avec la mondialisation, les affaires se font à l'échelle planétaire et, bien que l'anglais en soit devenu de facto la lingua franca, créant ainsi, on le sait, une langue universelle (qui n'est rien d'autre qu'un mauvais anglais), les aptitudes linguistiques des personnes peuvent ne pas être toujours à la hauteur de certaines situations, comme celle d'une réunion internationale où il est indispensable de saisir toutes les nuances de ce qui est dit. |
Il est donc nécessaire de disposer d'un dénominateur commun, une force égalisatrice grâce à laquelle les moins doués pour les langues pourront participer à égalité avec les délégués plus polyglottes. Remplissant donc une fonction d'intermédiaire, un bon interprète de conférence capte et rend les nuances essentielles, permettant une compréhension immédiate et une excelente communication, preuve infaillible du succès d'une réunion. En quoi diffèrent un bon interprète de conférence et les polyglottes en général? Ceux qui se débrouillent bien dans une langue étrangère font l'admiration de ceux qui se désespèrent quand ils veulent commander une bière avec des olives dans un pays étranger. Mais il ne suffit pas de parler plus d'une langue pour pouvoir interpréter, il faut d'autres aptitudes permettant d'écouter une langue tout en parlant simultanément une autre. (Oubliez donc votre idée de faire interpréter le conseil d'administration de votre entreprise par ce neveu qui a étudié les langues à l'étranger pendant deux ans.) |
La fonction de l'interprète de conférence consiste à entendre et comprendre ce qu'est en train de dire un orateur, à analyser cette information et à la transmettre en temps réel au public dans une autre langue. Le secret consiste à éviter une traduction littérale sans omettre de transmettre le fond du discours, ce qui prend une importance toute spéciale face à un orateur peu clair et désordonné. Pour extraire le fond d'un discours prononcé à toute allure ou sans ordre ni logique, l'interprète doit séparer le bon grain de l'ivraie, chercher dans ce torrent de mots l'essence de ce que l'orateur veut dire et, souvent, faire tout cela très rapidement. Le stress lié à cette profession est donc dû au niveau élevé de concentration nécessaire à l'accomplissement de cette tâche. |
Outre le savoir interpréter, l'interprète expérimenté connaît les expressions idiomatiques et familières de toutes ses langues de travail ainsi que la culture des pays où elles sont parlées. Les expressions signifiant une même chose sont parfois très différentes dans chaque langue. Par exemple, si l'on traduisait littéralement le proverbe "God helps those who help themselves" ("Dieu aide ceux qui s'aident eux-mêmes"), le public en comprendrait probablement le sens, mais ce serait beaucoup plus authentique et frappant de dire "Aide-toi, le ciel t'aidera!". Par contre une traduction littérale de cet autre proverbe "A stitch in time saves nine" (Un point de couture à temps en économise neuf") laisserait le public certainement fort perplexe, alors que "Mieux vaut prévenir que guérir" serait immédiatement compris. |
La terminologie technique est un autre obstacle. Les interprètes de conférence vraiment professionnels consacrent de nombreuses heures à se familiariser avec le thème et la terminologie des conférences pour lesquelles ils travaillent, où sont traités les thèmes les plus variés, allant de l'extrusion de l'aluminium à la sécurité ferroviaire en passant par toute la gamme des sujets médicaux. Comme dans toute profession, l'expérience ne passe pas inaperçue. Curieusement, les organismes sérieux qui font l'impossible pour engager des conseillers extérieurs pourvus de brilliants CV n'hésitent pas à chercher à faire une bonne affaire lorsqu'il s'agit des interprètes qui devront refléter fidèlement les informations dont dépend l'image même de leur organisation . Ce manque de souci quant à la qualité peut produire des résultats désastreux. Un exemple l'illustant bien est celui d'une prestigieuse réunion internationale sur l'insémination artificielle où un interprète n'hésita pas à traduire "semen congelé" (frozen semen) par "marins congelés" ("frozen seamen"). Comme les autres professions l'interprétation comporte un processus d'apprentissage, mais il peut revenir cher d'engager des interprètes novices qui acquerront leur expérience aux frais du client. Si le thème de la conférence est relativement simple, un interprète médiocre pourra peut-être faire un travail acceptable mais un bon interprète professionnel transmettra les idées de façon plus claire et plus nuancée qu'un interprète moins expérimenté. Et même s'il s'agit de thèmes apparemment non techniques un mauvais inteprète peut commetre une gaffe (comme celui qui parla de "Mademoiselle van der Rohe" alors qu'il s'agissait de l'architecte Mies van der Rohe), trahissant ainsi son manque de culture générale, ce qu'aucun bon interprète ne peut négliger. |
Si l'interprétation est le canal indispensable au public pour lui permettre de bien suivre la réunion et y participer activement, pourquoi les organisateurs essayent-ils d'économiser jusqu'au dernier centime lorsqu'il s'agit d'engager les professionnels dont va dépendre la fluidité de la communication et la précision du contenu d'un discours transmis Les chiffres sont surprenants. Selon des sources émanant du secteur concerné, un dîner de gala organisé pour les quatre cents délégués d'une conférence coûterait 32.000 €; la facture des fleurs à elle seule représenterait 2700€; et n'oublions pas le café du matin accompagné de viennoiseries qui, à raison de 12€ par personne, atteindrait la somme exorbitante de 4.800€, soit cinq fois plus que ne coûteraient deux interprètes de conférence professionnels engagés pour la journée. |
Ainsi donc, l'interprétation représente un pourcentage négligeable du coût total. Cependant, aussi incroyable que cela puisse paraître, ces organisateurs qui se donnent tant de mal pour faire le bon choix du menu et paufiner le moindre détail de la réunion, sont ceux-là mêmes qui ne prêtent souvent aucune attention à la bonne sélection d'interprètes professionnels qui sont pourtant un élément indispensable à la bonne marche de la réunion. |
D'une part, vouloir économiser le coût de professionnels de premier ordre reflète un manque général de connaissance du travail effectué par l'interprète. La formation à l'interprétation, qu'elle soit de type formel (licences et postgraduats, formation sous l'égide de l'UE) ou informel (recherche sur les thèmes dont traiteront les réunions), est un long processus qui fait toute la différence entre les professionnels authentiques et le petit monde des amateurs manquant de technique et de l'effort nécessaire à l'acquisition d'une expérience solide. |
Les organisateurs horrifiés auxquels le coût de l'interprétation fait lever les bras au ciel, ne devraient pas perdre de vue que, avant la conférence l'interprète lui aura consacré plusieurs jours non rémunérés, passés à revoir d'anciennes notes, à se plonger dans des documents et à étudier le thème et à se familiariser avec sa terminologie, afin de pouvoir transmettre avec clarté et précision ce qu'il entendra aux personnes qui ne sont rien moins que des experts du domaine traité. |
En général, les organisations internationales sont conscientes des dangers d'une mauvaise interprétation et n'emploient que des professionnels expérimentés. L'ONU, le FMI, l'Organisation mondiale du commerce et les institutions de l'EU (Commission, Parlement et Conseil européens), parmi bien d'autres, cherchent et trouvent leurs interprètes fonctionnaires ou freelance essentiellement dans la pépinière de l'AIIC, l'Association internationale des interprètes de conférence, dont le siège est à Genève, qui réunit 2.800 membres dans le monde entier, dont plus de quatre-vingt résident en Espagne. Comme, pour entrer à l'AIIC - association qui non seulement promeut la qualité de l'interprétation mais aussi les conditions permettant de l'atteindre - la combinaison linguistique de chaque candidat doit être avalisée par ses membres, l'association a placé la barre très haut, ce qui constitue une garantie de qualité renforcée par le nombre mínimum de journées de travail exigé aux candidats à l'AIIC. |
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Petit glossaire essentiel de l'interprétation de conférence |
Il existe diverses modalités d'interprétation. La première à laquelle on pense est en général l'interprétation simultanée, également mal dénommée "traduction simultanée". Dans cette modalité, les interprètes, installés dans une cabine insonorisée, parlent dans un micro tout en transmettant simultanément dans une autre langue le contenu de ce qu'ils entendent dans leurs écouteurs |
Dans la modalités d'interprétation consécutive, l'interprète prend des notes pendant que l'orateur parle et quand celui-ci a terminé, l'interprète rend ce qu'il a dit dans une autre langue. En général, pour faciliter la tâche de l'interprète et éviter l'ennui aux assitants qui doivent écouter tout une discours sans en comprendre tout d'abord le sens, l'intervention de l'orateur est faite en plusieurs parties. Le seul dispositif pouvant être utilisé sera un micro si les dimensions de la salle et le nombre d'assistants le justifient. |
On préférera l'interprétation simultanée, si elle est posible, car elle est fluide et immédiate, mais lorsque son équipement sonore ne peut être installé, il faudra opter pour la consécutive. Le problème de la consécutive est qu'elle double nécessairement le temps de parole pour permettre à l'interprète de rendre chaque portion du discours, et le temps effectif de réunion se voit ainsi réduit de moitié. |
Une autre modalité d'interprétation est le chuchotage, sorte de technique hybride où l'interprète, situé derrière ou à côté de l'auditeur, lui chuchote l'interprétation pendant que parle l'orateur. Comme cette modalité n'utilise aucun équipement sonore, elle ne convient que pour un auditeur ou deux. |
Les auteurs de cet article: Virginia Skrobisch et Edwina Mumbrú sont membres de la "Agrupación de Intérpretes de Barcelona", (AIB), groupement d'interprètes de conférence dont le siège est à Barcelone, fondé par des interprètes de conférence professionnels possédant une longue trajectoire dans les secteurs public et privé de toute l'Union Européenne. AIB fut créé il y a huit ans dans l'idée d'offrir au marché national la même qualité de service que celle exigée et offerte aux organisations internationales. Tous les membres d'AIB appartiennent à l'AIIC. |
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